L’an dernier, quelque 2 000 professionnels de la santé ont fait appel au Programme d’aide aux médecins du Québec (PAMQ) afin d’obtenir le soutien nécessaire pour faire face à une situation difficile. Nous le savons tous, la pandémie de COVID-19 a eu des répercussions importantes sur l’ensemble du personnel de la santé, ce qui s’est entre autres traduit par une hausse notable du nombre de demandes d’aide traitées par les médecins-conseils du PAMQ. Les médecins de famille n’ont pas échappé à cette vague. Toute proportion gardée, ils ont été plus nombreux à s’adresser au PAMQ.
La question se pose : qu’est-ce qui amène un médecin de famille à se tourner vers le PAMQ? Quel type de soutien les médecins-conseils sont-ils en mesure d’offrir ? Surtout, dans quelle mesure la pandémie est-elle venue changer la donne? Tour d’horizon avec Dre Marie-Chantale Brien, directrice de l’intervention, de la prévention et de la recherche au PAMQ.
Au cours de la pandémie, quels ont été les facteurs ayant contribué à une plus grande vulnérabilité chez les médecins de famille?
Il est vrai que les médecins de famille constituent le segment de la profession médicale qui a le plus souvent fait appel à nos services au cours de la pandémie, comme l’indique notre plus récent rapport annuel. Plusieurs facteurs peuvent expliquer une telle situation. On peut penser à la surcharge de travail, aux pressions incessantes du milieu afin de contribuer aux efforts pour contrer la pandémie, aux craintes de contracter la maladie, aux listes d’attente de plus en plus longues, au sentiment d’impuissance devant l’incapacité de maintenir le service auprès de patients qu’on suit depuis longtemps ainsi qu’aux problèmes personnels ou familiaux qui ont pu survenir selon le contexte propre à chaque individu. Je me base ici sur les observations de nos médecins-conseils auprès des gens qui font appel à nos services.
A-t-on été en mesure d’évaluer l’incidence de ces facteurs du point de vue de la santé mentale des médecins et du taux d’absentéisme?
Nos médecins-conseils ont constaté une plus grande complexité des situations portées à leur attention depuis le début de la pandémie. Le plus souvent, il s’agit d’une combinaison de plusieurs facteurs, ce qui demande une approche personnalisée à plusieurs volets avec un suivi sur une plus longue période. Dans certains cas, cela nous amène également à orienter nos clients vers des ressources qui ont les compétences pour traiter un aspect en particulier, comme un psychologue, un médiateur ou encore un conseiller financier.
Cela dit, nous ne sommes pas en mesure de commenter en ce qui concerne le taux d’absentéisme et les raisons qui y sont associées, lesquelles peuvent être multiples et pas uniquement liées à la pandémie. Cependant, selon les témoignages de nos clients, nous observons une lassitude de plus en plus fréquente. Ils sont de plus en plus nombreux à songer à une retraite anticipée, à un allégement de leur charge de travail en délaissant une partie de leur clientèle, ou encore à un changement professionnel, en demeurant dans le domaine médical ou en passant carrément à autre chose.
Selon vous, est-ce qu’il y aurait plus de médecins en situation de vulnérabilité que ceux qui font appel à vos services?
Difficile à dire avec certitude. Les médecins peuvent aussi faire appel à d’autres intervenants. Toutefois, connaissant la culture qui prévaut au sein de la profession, il pourrait être logique de penser qu’il y a un écart entre le nombre de médecins en situation de vulnérabilité et ceux qui font appel à nos services ou à tout autre service en relation d’aide. La première préoccupation d’un professionnel de la santé en détresse sera de faire en sorte que personne ne s’en rende compte. C’est le propre du métier que nous exerçons, il faut toujours montrer que nous sommes en pleine possession de nos moyens. Devant l’évidence d’un surmenage, d’un épuisement ou autre, nous avons d’abord et avant tout le réflexe d’adopter une attitude de superhéros, malgré un équilibre précaire.
Et le réflexe est tenace. Si la propension à revêtir un masque tend à se résorber, il reste que les tabous à afficher une certaine vulnérabilité ou à l’égard de la démarche pour demander de l’aide demeurent présents.
Comment peut-on remédier à une telle situation et faire en sorte que les personnes qui ont besoin d’aide en arrivent à en faire part?
C’est exactement ce que nous cherchons à faire au PAMQ. Par nos communications, nous faisons valoir qu’il n’y a pas de motif futile pour nous appeler. Le seul fait de ressentir le besoin de parler de sa situation à quelqu’un constitue une raison valable pour passer à l’action. D’autant plus que le PAMQ offre aux médecins la possibilité d’être écoutés et accompagnés par des pairs, des médecins-conseils qui comprennent vraiment leur situation, sans porter de jugement, en toute confidentialité. Ça reste vraiment entre nous, sans crainte d’être stigmatisés. En fait, les efforts de sensibilisation aux différents enjeux de santé mentale demeurent essentiels, de concert avec notre travail pour traiter les demandes d’aide que nous recevons. Il nous faut agir en amont pour prévenir les situations de détresse chez les médecins. Et lorsqu’elles surviennent, faire en sorte qu’ils consultent.
Comme nos services sont sans frais et accessibles 365 jours par année, avec une réponse initiale dans un délai de 24 heures ouvrables, il n’y a vraiment aucune raison de ne pas faire appel au PAMQ lorsqu’on en ressent le besoin.
Quand on parle de soutien-conseil individuel, comment cela se passe-t-il en réalité?
Le tout commence généralement par un entretien entre le client et le médecin-conseil, lequel fait preuve d’une écoute authentique, avec ouverture et sans jugement. Selon le cas, ce dernier pourra fournir des outils, des conseils, des trucs, ou autres, ou encore faire ce qu’on appelle de la psychoéducation. Son accompagnement visera surtout à favoriser l’autodétermination du client vers un cheminement de rétablissement. L’approche s’appuie sur le principe que le client se mobilise et fait des choix qui seront respectés par le médecin-conseil, lequel veillera à faciliter son cheminement.
Quand on pense au PAMQ, on a surtout tendance à faire référence à un accompagnement individuel, pourtant vous offrez plus que cela.
Vous avez entièrement raison. Il est vrai que le soutien-conseil sur une base individuelle représente la majeure partie de nos interventions. Nos médecins-conseils demeurent toutefois actifs sur d’autres plans. Ils sont parfois appelés à conseiller une personne souhaitant venir en aide à un médecin, proche ou collègue, et à la soutenir dans cette démarche. Nous avons également mis au point un programme d’interventions de groupe en milieu de travail, notamment dans le cas d’une situation de crise qui met en péril le fonctionnement d’une équipe. Par exemple, dans le cas du suicide d’un collègue, nous avons développé une approche dite de « postvention » selon un protocole basé sur les premiers secours psychologiques, et ce, afin de soutenir les membres de l’équipe et favoriser un retour à un fonctionnement optimal.
Nous pouvons également agir sur le plan de la prévention, entre autres en aidant à la mise sur pied de groupes de soutien entre pairs. À cet effet, nous avons créé une trousse de démarrage qui comprend un guide d’accompagnement, une vidéo et une foire aux questions. Par ailleurs, selon le cas, nous offrons aux médecins, résidents et étudiants en médecine des formations, des conférences ou des ateliers sur différents thèmes associés à la santé et au mieux-être des médecins. S’y ajoutent des outils mis à la disposition de notre clientèle sur notre site web, comme le Baromètre de la santé psychologique et des capsules sur différents motifs de consultation.
Finalement, nous sommes présents lorsqu’il s’agit de participer avec d’autres instances à un processus de réflexion et de faire part de notre expérience et de nos connaissances en ce qui concerne la culture médicale, du début du parcours des médecins jusqu’à la réalité de la pratique.
De quelle façon des médecins peuvent-ils s’entraider lorsqu’ils doivent faire face à des situations difficiles?
L’entraide entre collègues peut prendre place de différentes façons. Cela peut se faire selon une approche plus formelle, comme la mise sur pied d’un groupe de soutien entre pairs avec la trousse de démarrage offerte par le PAMQ, comme mentionné ci-dessus. On peut également agir de manière informelle, en étant à l’écoute de ce qui se passe au sein de son milieu de travail et en repérant si un collègue en difficulté pourrait avoir besoin d’aide. À cet égard, il peut s’avérer utile de communiquer avec le PAMQ pour obtenir des conseils sur la façon d’approcher le collègue en question, cela fait partie intégrante des services que nous offrons. Il peut également être utile de consulter le document Comment approcher un collègue accessible sur notre site web.
Comment doit-on envisager un retour vers une pratique normale après l’essoufflement que la pandémie a occasionné?
À mon avis, il est plus juste de parler d’une nouvelle normalité. La pandémie aura laissé des traces permanentes en ce sens qu’elle a suscité une profonde remise en question à l’égard de certains enjeux qu’on ne pourra plus ignorer. Je pense entre autres aux conditions de travail et d’études, à la délégation de certaines tâches, au processus de priorisation et à la télémédecine. Ce sera sans doute le moment d’accorder plus de place aux notions de bienveillance et de collégialité au sein des équipes éprouvées par la pandémie et qui sont en reconstruction.
Est-ce pour cela qu’on dit que les médecins de famille doivent faire preuve de résilience face à la pandémie?
Oui, la résilience peut s’avérer utile pour traverser une période difficile. En fait, il ne faut pas la voir comme une recette miracle, mais comme une forme d’entraînement qui nous amène à acquérir la capacité de retrouver son équilibre lorsque l’adversité frappe et déstabilise. D’ailleurs, avec la collaboration de Rachel Thibeault, experte en résilience, nous offrons l’accès à une série de webinaires qui présentent des outils qui, une fois intégrés, permettent de mieux faire face aux épreuves de l’existence. Cela dit, il ne faut aucunement voir la résilience individuelle comme une solution à des problèmes systémiques, une résilience organisationnelle doit émerger davantage.
En définitive, quelles leçons devons-nous tirer de la pandémie en ce qui concerne la santé mentale des médecins de famille?
La pandémie a tout simplement contribué à confirmer ce que nous savions déjà. Pour un médecin, il est essentiel d’échanger et de faire part de sa situation lorsqu’il se retrouve en situation de vulnérabilité, que ce soit à un proche, à un collègue ou au PAMQ. Il faut surtout ne pas demeurer dans l’isolement. Comme tout autre professionnel, le médecin a droit à la vulnérabilité, et c’est tout à fait légitime de se préoccuper de sa santé psychologique afin de demeurer pleinement fonctionnel au travail, dans le but d’offrir de meilleurs soins pour les patients.
Souvent, il suffit de choses simples pour maintenir son équilibre. Certains diront de prendre le temps de s’arrêter et de s’émerveiller devant la beauté de ce qui s’offre à notre regard : un paysage, une œuvre d’art, le sourire d’un enfant. Comme le souligne Rachel Thibeault, il est important de « mettre du beau, du bon et du bien autour de soi ». Donner autant de place à l’autocompassion qu’à la compassion manifestée naturellement à l’égard de ses patients, question de se faire du bien à soi-même.
PAMQ: pamq.org