Un médecin entre ciel et terre

Photo: Agence spatiale canadienne / NASA
Le médecin et astronaute David Saint-Jacques en train de procéder à des expérimentations à bord de la Station spatiale internationale.

Face à la pandémie de COVID-19, l’astronaute et docteur David Saint-Jacques n’a pas hésité à prêter main-forte à ses collègues confrontés au coronavirus. Celui qui a séjourné dans la Station spatiale internationale durant 204 jours entre 2018 et 2019 – soit la plus longue mission pour un astronaute de l’Agence spatiale canadienne – est retourné à la pratique de la médecine au CUSM en janvier dernier. Rencontre avec un médecin qui garde à la fois un pied sur Terre et l’autre au-delà des nuages.

Quel a été votre principal défi lors de votre retour à la pratique de la médecine?

«Ça faisait onze ans que j’avais cessé la pratique. La préoccupation était de savoir si l’on sera dangereux. Ce qui est particulier à la pratique médicale, c’est que l’on est responsable moralement envers nous-même. Il n’y a pas de police pour nous surveiller. Je me demandais si j’allais être à la hauteur. Ce qui est aussi frustrant, c’est d’être très lent, parce que tu vérifies tout. Tu n’oses pas trop te fier à ta mémoire. Comme n’importe quel médecin, on a tous des standards élevés. On ne veut pas faire de gaffe, nuire à personne. C’était assez laborieux. Le Collège des médecins et le CUSM m’ont organisé un stage de retour à la pratique. Ce processus était très bien encadré.»

«Le défi quand on est un étudiant ou un junior plus âgé en médecine, c’est d’avoir l’humilité d’établir une relation où tes patrons peuvent te chicaner si tu fais une gaffe. Ils vérifient ton travail et ils n’auront pas peur de donner leurs conseils. J’ai dans la cinquantaine, je suis quelqu’un de connu et je pouvais, par exemple, me retrouver sous la supervision d’une résidente beaucoup plus jeune que moi. Elle ne doit pas être gênée de me dire ce qui ne va pas. Il faut demeurer humble, sinon c’est dangereux, inacceptable. Il faut descendre de ses grands chevaux, c’est comme ça que ça fonctionne la médecine, et pas seulement quand on est en formation. Ça doit rester vrai tout le temps.»

Avec l’apparition des téléconsultations médicales, croyez-vous que l’on assiste à un changement de rapport entre le patient et son médecin?

«J’ai seulement utilisé la télémédecine en tant que patient. Dans l’espace d’abord et puis sur Terre avec la pandémie. Il sera toujours préférable que la consultation se fasse en personne. Certaines consultations se font bien en télémédecine et il y a des avantages pratiques, comme celui de ne pas avoir à se déplacer. La télémédecine va probablement rester pour un certain nombre de consultations. Cependant, l’examen physique et le contact direct demeurent essentiels pour la relation médecin-patient. Quand je travaillais en Arctique(*), j’utilisais la télémédecine pour demander l’avis des collègues à propos d’un patient que je traitais. Il est préférable que la télémédecine ne remplace pas la consultation en personne.»

Est-ce que le fait d’avoir réalisé votre rêve en devenant astronaute a eu un impact sur la façon d’assumer votre rôle de médecin?

David Saint-Jacques et un nombre record de ses coéquipiers en orbite ont prélevé des échantillons de sang et d’haleine dans le cadre de l’expérience scientifique canadienne MARROW. L’étude se penche sur les changements subis par le sang et la moelle osseuse dans l’espace. Photo : Agence spatiale canadienne / NASA

«Être astronaute, c’est avant tout un job de technicien. Tu as des procédures
qu’il faut accomplir parfaitement pour réussir ta mission. Nous sommes très concentrés sur les règles, les détails, sur l’environnement, à prendre soin de l’équipement, des autres. C’est ta responsabilité et on te fait confiance. Tu es dans l’espace et tu ne veux pas mourir, cela devient donc forcément ton problème. C’était le même genre d’expérience lorsque j’étais médecin dans le Grand Nord. Dans notre équipe médicale, on s’est vite habitués à être responsables de tout. En revenant de l’espace, ce principe s’est renforcé dans ma pratique. Il n’y a rien dans le dossier d’un patient qui ne soit pas mon problème. Mon entraînement d’astronaute a fait de moi un médecin avec des yeux tout le tour de la tête.»

«C’est très touchant de voir la Terre dans l’espace flottant au milieu de nulle part dans le vide spatial, le froid, les radiations. Nous vivons sur une petite boule, sur une oasis fragile qu’est la Terre et c’est un miracle. Mon expérience dans l’espace a fait en sorte que je suis revenu avec un plus grand amour envers l’humanité.»

«On me demande souvent comment je me sens depuis que je suis revenu de là-haut. En fait, je ne suis jamais revenu de l’espace. Nous sommes dans l’espace en ce moment. Je suis à Montréal, mais si on élargit la perspective, nous sommes au Québec, en Amérique du Nord, sur la Terre dans l’espace. La nuit, avec les étoiles, c’est plus évident, on voit bien que l’on est dans l’espace. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Cela a affecté ma personnalité en tant que médecin. Ça m’aide à mettre les choses en perspective. Ce qui est le plus important de l’expérience humaine, c’est la famille, les amis, profiter de la beauté de l’environnement et être heureux pendant que l’on est sur Terre.»

Comment entrevoyez-vous l’avenir de la pratique de la médecine familiale?

«La médecine familiale est vouée à un rôle de plus en plus important parce que la médecine se spécialise continuellement. Les connaissances n’arrêtent pas de progresser. Et cela donne encore plus d’importance au rôle du médecin généraliste qui agit un peu comme un chef d’orchestre. Pour le patient, cela devient pratiquement impossible de comprendre tout ce qui se passe en médecine spécialisée. Le médecin de famille va l’aider à prendre des décisions qui lui sont inconfortables, car le patient doit décider sur des aspects qu’il ne peut saisir dans leur entièreté. Le médecin de famille est son meilleur allié pour naviguer dans tout ça.»

Avez-vous l’intention de poursuivre l’exercice de la médecine?

«Quand je suis déménagé, il y a douze ans, à Houston pour devenir astronaute, j’ai arrêté la pratique clinique. Je me suis concentré sur ce qui pourrait me servir dans l’espace. J’ai maintenu mes certifications en soins d’urgence cardiaques et traumatologiques, ainsi qu’en échographie. J’ai suivi des formations supplémentaires en médecine de brousse et également en médecine hyperbare, en cas d’accident de décompression.»

«Je ne pensais pas un jour pouvoir retourner à la pratique clinique, l’idée était plutôt intimidante, mais la pandémie a été l’aiguillon qui m’a poussé à revenir. J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai plongé. Je veux quand même me concentrer sur mes tâches d’astronaute où je m’occupe notamment de gestion. Mais je veux aussi garder mes compétences cliniques, et en ce sens, je vais continuer à m’impliquer. Je suis sur ma lancée et je ne vais pas m’arrêter. Je redécouvre la joie d’être en relation d’aide avec le patient et c’est un rôle que j’adore. Même si, en tant que médecin, je fais toujours face aux problèmes dramatiques des gens qui viennent me voir, j’ai le privilège de jouer un rôle positif. Et c’est très gratifiant. Ça me nourrit beaucoup.»

Est-il question d’un autre séjour dans l’espace?

«J’aimerais retourner dans l’espace, mais j’ai 51 ans et il y a trois astronautes canadiens qui n’y sont pas allés. Je suis en arrière de la file d’attente et elle n’avance pas vite. C’est peu probable que j’y retourne, mais ce n’est pas impossible. La carrière d’astronaute est particulière, car elle consiste à être en soutien aux autres astronautes. On passe 90% de notre carrière au sol, au centre de contrôle, en tant que gestionnaire ou instructeur. Les moments actifs, où l’on s’entraîne comme si nous étions dans l’espace, sont minoritaires.»

«Lorsqu’on est dans l’espace, on sait que c’est peut-être la dernière fois. On se prépare longtemps d’avance à dire adieu à cet endroit magique. On essaie d’imprimer le plus fort possible dans notre tête les images, les sensations, les expériences que l’on éprouve. Quand je ferme les yeux, je me retrouve là-haut.»

Difficile de garder les pieds sur Terre?

«On doit s’adapter de nouveau à la complexité de la vie de Terrien. Être en mission dans l’espace c’est dangereux, car il y a plein d’imprévus qui peuvent survenir, mais moralement c’est très facile, très confortable. Tu as juste une affaire à faire : ton job pour ne pas mourir. Pendant mes trois ans d’entraînement au sol à travers le monde et les six mois dans l’espace qui ont suivi, ma vie était simple. Je n’avais qu’un chapeau, celui d’astronaute. Ma conjointe s’occupait de gérer ma vie personnelle et mes collègues, ma vie professionnelle. Moi, je vivais uniquement ma vie d’astronaute. Mais quand je suis revenu sur Terre, j’ai dû porter tous mes chapeaux : celui de médecin, d’astronaute, de papa, de fils, d’ami, de citoyen. Parfois, je m’ennuie de cette période très simple où je n’étais juste qu’un astronaute.»

Une question qu’on ne vous a pas posée et à laquelle vous aimeriez répondre?

«Il n’y en a pas vraiment. Mais il y a un message que j’essaie toujours de transmettre:
celui du trésor que j’ai ramené de l’espace, à savoir la fragilité et la beauté de la condition humaine. On habite une petite roche miraculeusement vivante au milieu d’un désert absolu, au milieu du cosmos vide, du froid, des radiations. Toutes les autres planètes proches de notre environnement, c’est des déserts absolument inhospitaliers. La lune, c’est juste une roche. Le soleil, c’est juste une boule de feu. C’est vraiment un miracle d’habiter cette oasis-là qui nous sert de vaisseau spatial. On est tous dans l’espace. On peut bien parler d’aller vivre sur une autre planète, mais sérieusement, c’est beaucoup plus simple et brillant de faire ce qu’il faut pour protéger la Terre. On a des défis énormes pour protéger la planète. Comme père, comme citoyen, je suis revenu de l’espace absolument convaincu que l’on est capable. Je n’ai aucun doute que, si l’on met nos différences de côté, le génie humain va surmonter tous les défis de pérennité pour garder la Terre habitable à tout jamais.»

PARCOURS ACADÉMIQUE
Le Dr David Saint-Jacques a obtenu un baccalauréat en génie physique de la Polytechnique Montréal (1993). Il a décroché un doctorat en astrophysique à l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni (1998). Il a obtenu son diplôme en médecine à l’Université Laval, à Québec (2005), et a effectué sa résidence à l’Université McGill (2007) où il s’est spécialisé dans la pratique de la médecine de première ligne en région éloignée.

(*)Le Dr David Saint-Jacques a été médecin et cochef du département de médecine au Centre de santé Inuulitsivik, à Puvirnituq, une communauté inuit de la baie d’Hudson.

Le médecin et astronaute David Saint-Jacques en train de procéder à des expérimentations à bord de la Station spatiale internationale. (Photo : Agence spatiale canadienne /NASA)

David Saint-Jacques et un nombre record de ses coéquipiers en orbite ont prélevé des échantillons de sang et d’haleine dans le cadre de l’expérience scientifique canadienne MARROW. L’étude se penche sur les changements subis par le sang et la moelle osseuse dans l’espace. (Photo : Agence spatiale canadienne /NASA)

David Saint-Jacques a effectué un retour à la pratique médicale depuis janvier dernier. Il est hospitaliste sur les unités de COVID-19 au CUSM.